L’opération archéologique de la rue des Commune, menée de février à août 2023 par une équipe d’Archeodunum dirigée par M. Rodriguez, a permis d’étudier un quartier de l’agglomération antique d’Augustum vraisemblablement occupé entre la fin du I^er siècle avant notre ère et le III^e/IV^e siècle de notre ère. Malgré un état de conservation dégradé, la forte densité des vestiges mis au jour ainsi que l’importance du corpus mobilier prélevé ont évoqué dès la phase terrain un potentiel scientifique élevé que l’avancée actuelle des études continue de souligner. Ce billet propose d’interroger, en amont du rendu du rapport d’opération, une composante singulière des installations antiques : les remplois d’amphores et de vases de stockage.

L’agglomération antique

Augustum est l’un des principaux vici de la cité de Vienne, dont la création remonterait aux années 16-13 avant notre ère (fig. 1). Sa vocation de carrefour routier est attestée par la Table de Peutinger et l’itinéraire Antonin. L’agglomération antique jouit de fait d’une position géographique privilégiée, au croisement de voies importantes allant de Vienne à l’Italie et au plateau helvétique. Elle bénéficie en outre de l’important axe fluvial qu’est le Rhône (Jospin 2005 : 61-62 ; Helly, Silvino 2011 : 180-181). Ces conditions ont largement favorisé le développement de ses fonctions artisanales et commerciales. Ces dernières sont à leur tour probablement à l’origine du très abondant mobilier amphorique découvert de manière quasi systématique sur chaque fouille menée à Aoste.

Les remplois connus

La réutilisation de ce type de conteneurs, peu coûteux et disponibles en abondance une fois que leur contenu a été utilisé, est un phénomène connu dans le monde romain, notamment en Gaule et en Germanie (Ballet et al. 2003). Il est ainsi attesté dans certains grands centres urbains comme Vienne/Saint-Romain-en-Gal (Brissaud, Prisset 2017). À Aoste, de nombreux exemples de remplois ont été relevés, en particulier sur le contournement de la route départementale 592 (Silvino 2019), ou encore sur la route de la Steida (Bastard et al. 2021) pour ne citer que les plus récents.

Dans ces exemples, les usages les plus fréquemment observés semblent être l’assainissement des bâtiments et la récupération de réserves d’eau, potentiellement pour une application artisanale. Dans le premier cas, les amphores sont enfoncées en terre verticalement, pied en terre ou retournées col vers le bas. Elles peuvent être entières ou tronquées au niveau du col ou de l’épaule. Dans la seconde situation, les amphores sont généralement découpées au niveau du col et enterrées jusqu’à mi-panse. Signalons par ailleurs l’existence d’un autre cas d’usage dont les vestiges sont assez proches mais où le vase est implanté dans un espace de circulation extérieur (type trottoir) et où l’utilisation pourrait être la récupération d’urine pour les foulons (Silvino 2019, p.583). Ces deux derniers cas d’utilisations sont susceptibles de fournir un cadre interprétatif plausible à une large partie des amphores enterrées observées sur le site de la rue des Communes (fig. 2 et 3). De manière générale, les utilisations potentielles de tels remplois sont multiples et leur identification problématique.

 

Les remplois indéterminés de la rue des Communes

Deux types de remplois d’amphores et de vases de stockage demeurent à ce jour non-identifiés. Le premier a été observé à au moins quatre reprises dans l’emprise des espaces de circulation piétonne bordant la voie d’axe est-ouest. La datation de ces niveaux est comprise entre la première moitié du I^er siècle et le milieu du II^e siècle. Il est constitué d’une paire d’amphores (fig. 4) ou d’une amphore et d’un vase de stockage (fig. 5) déposés côte à côte sur un lit de pose sédimentaire à l’intérieur d’une fosse de plan oblong ou ovale, longue d’environ 100 à 150 cm et profonde d’environ 100 cm. L’un des conteneurs est installé couché sur le flanc tandis que le second est maintenu en terre verticalement, col tourné vers le bas. Dans la structure la mieux préservée, le fond du vase installé verticalement est percé, peut-être volontairement (fig. 6).

Le second de type de remploi indéterminé n’a été observé qu’à une seule reprise. Il s’agit d’une fosse (F461) de plan oblong, longue de 220 cm pour une profondeur de 95 cm et implantée sur le trottoir occidental d’une voie d’axe nord-sud (fig. 7). Son comblement comporte une amphore entière, installée au niveau de l’extrémité sud de la structure, col vers le bas et sans doute volontairement calé à l’aide de plusieurs tessons de module décimétrique (fig. 8). Ainsi installé, le pied de l’amphore déborde largement du creusement (fig. 9). Jusqu’à mi-hauteur du creusement, le comblement de la fosse est constitué d’une matrice limoneuse associée à une trame dense de galets et de fragments de TCA (fig. 10). Le comblement sommital possède également une matrice limoneuse mais se trouve largement dépourvu de mobilier. À l’extrémité septentrionale de la fosse, la présence d’un négatif dont le diamètre correspond peu ou prou à celui de l’amphore installée en vis-à-vis pourrait suggérer l’existence d’un second vase de stockage récupéré (fig. 11). L’abondant mobilier céramique renvoie à une datation comprise entre la seconde moitié du I^er siècle de notre ère et le milieu du II^e siècle, tandis que l’amphore elle-même (Beltran IIA) évoque une chronologie légèrement plus large, avec un TAQ situé à la fin du II^e siècle.

Aucune explication satisfaisante ne permet à l’heure actuelle d’interpréter ce type de vestige, dont l’identification est appelée à constituer l’un des objectifs des recherches engagées en post-fouille.

 

Bibliographie

Bastard et al. 2021

Bastard V., Giry K., Bleu S., Cossé M., Franc O., Frascone D., Gagnol M., Guérit M., Horry A., Ronco C., Saintot S., Route de la Steida, Rapport de fouille, Bron : Inrap.

Brissaud, Prisset 2017

Brissaud L., Prisset J.-L., « Ingéniosité et savoir-faire : la réutilisation des amphores en milieu urbain. L’exemple de la rive droite de Vienna (I^er-III^e après J.-C.) », in Sic transit… La métamorphose des lieux et des objets dans le monde antique et médiéval. Études offertes à Françoise Dumasy., s.l. : Publications de la Sorbonne, coll. « Cahiers archéologiques de Paris », 1, pp. 43‑70.

Helly, Silvino 2011

Helly B., Silvino T., « Un nouveau témoignage du commerce antique aux portes des Alpes : la fouille du musée d’Aoste (Isère) », RAN, 44, 1, pp. 179‑203.

Jospin 2005

Jospin J.-P., « Uicus Augusti : Aoste, Isère », Revue archéologique de Narbonnaise, 38, 1, pp. 61‑72.

Laroche, Bucur 1987

Laroche C., Bucur I., « Aoste (Isère) : un centre de production de céramiques (fin du Ier s. av. J.-C – fin du Ier s. ap. J.-C). Fouilles récentes (1983-1984) », RAN, 20, 1, pp. 281‑348.

Silvino 2019

Silvino T., Contournement RD 592, RD 1516, Aoste (38), Rapport final d’opération archéologique, Limoges : Éveha.